📰 La « modernosphère » catholique, le cas François Huguenin

Le magazine Causeur, vient de publier un entretien réalisé auprès de François Huguenin, « historien des idées », au sujet du pape François et de son regard sur l’immigration : «Le discours du Pape François sur l’immigration est très équilibré». Le présent bulletin est une réponse point par point à cet article. François Huguenin, F.H., ami de KozToujours, est par ailleurs l’auteur de « Le pari chrétien : une autre vision du monde », livre que j’ai refusé pour le moment de m’infliger.

L’entretien fleuve débute par le constat, mais qui ne le partage pas ?, de la déchristianisation de la société. De moins en moins de français sont catholiques et de moins en moins de catholiques sont pratiquants. Dans ce contexte, le catholique pratiquant est ainsi de plus en en plus en décalage avec la société. Si le diagnostic est sûr, il n’en est pas de même en ce qui concerne ses causes, et nous allons rapidement nous démontrer la faiblesse du raisonnement de François Huguenin.

« Les chrétiens ont d’abord besoin d’une société qui garantisse la liberté religieuse. Vatican II l’a dit clairement, mais les premiers chrétiens le disaient aussi entre le IIe et le IVe siècle ! » F.H.

« Si la laïcité n’a plus de représentation du bien, elle tourne en rond. » (F.H.)

Il est assez curieux de constater, et de déplorer (on l’espère), la déchristianisation de notre société tout en appelant à davantage de « liberté religieuse« . On le sait, en France, pays pétris de culture catholique, imposer la laïcité revient à étouffer le développement du catholicisme au profit des autres (fausses) religions. Comment dès lors la « liberté religieuse », mère de toutes les confusions, ne serait-elle pas ennemie des catholiques ? Les enseignements de nombreux papes sur le sujet ne laissent aucune interprétation possible : « La liberté civile de tous les cultes propage la peste de l’indifférentisme » (Pie IX), « Sous le nom séducteur de liberté du culte, ils proclament l’apostasie légale de la société. » (Léon XIII). Ainsi ,lorsque F.H. évoque la représentation du « bien » à quelle définition se rattache-t-il, puisque précisément ce concept a autant de définitions qu’il y a de religions libres.

D’autre part, et c’est souvent la marque des modernistes qui ne disent pas leur nom, F.H. se risque à un parallèle entre la situation des premiers chrétiens et la nôtre, comme pour mieux enraciner son discours dans la Tradition catholique. La démonstration est grotesque : c’est pour leur propre liberté de culte que les premiers chrétiens luttaient, au prix de leur vie bien souvent, c’est pour la liberté de culte des autres religions que se battent désormais certains chrétiens.

« De la tentation du repli, qu’il soit individuel ou communautaire » (F.H.)

La démonstration se poursuit par une autre contre-vérité. Pour l’auteur un certain nombre de catholiques cèdent à l’esprit du temps et se compromettent avec « l’individualisme contemporain ». Bien, mais à quels catholiques fait-il allusion ? Ceux qui sont tentés par le repli, « individuel ou communautaire« , ceux qui considèrent qu’il est de leur « devoir politique » de « défendre les intérêts ou les valeurs de sa communauté ». C’est bien là, semblerait-il, le cœur de la pensée de F.H., et de bien d’autres. C’est ennuyeux, car on ne peut pas constater d’une part que les catholiques et leur foi sont devenus minoritaires, et leur reprocher d’autre part non seulement de vouloir influencer la « vie de la cité », mais également de vouloir tout simplement « survivre ». Survivre, et donc de s’unir, se réunir, comme le faisaient du reste les premiers chrétiens, pour reprendre le parallèle de l’auteur. Deux dynamiques participent à l’isolement des catholiques : celle du recul global de la foi et celle du recul du nombre de pratiquants. De fait, la pratique de la foi et le renoncement « au monde » qu’elle implique, place les catholiques dans une situation de repli. Peut-on les en blâmer ?

Enfin, si le message chrétien « porte en lui une visée universelle », il doit être enraciné dans l’intégrité respectée des nations. Si la terre appartient à tous, les nations sont des propriétés privées. En cas de nécessité extrême ce principe de propriété privée peut être violé. Si l’on peut discuter de la définition du concept de « nécessité extrême », on ne peut nier aux nations le droit à défendre leurs intérêts propres, leur bien commun. Par exemple : « Une certaine restriction à l’égard de l’immigration » est admissible car, « en cette matière, ce ne sont pas les seuls intérêts des immigrants, mais aussi la prospérité du pays qui doivent être consultés», (Pie XII). Ainsi, lorsqu’il exhorte les nations du monde à ouvrir leurs frontières et à accueillir les migrants, le pape François tient un discours politique, ce qui est son droit mais ce qui autorise les croyants à pouvoir le critiquer ouvertement. Ils peuvent notamment lui rappeler son opposition frontale avec la doctrine de nombreux autres papes sur la question, ou bien le caractère irresponsable de telles prises de positions.

« C’est l’essence de notre société qui est en jeu, non pas pour qu’elle redevienne chrétienne (même si un chrétien est tenu à témoigner de sa foi) » (F.H.)
« …cela ne passe pas des grands discours, mais par le témoignage, des actions concrètes de proximité » (F.H.)

Nous retrouvons ici une vieille recette progressiste, celle du « levain dans la pâte« , mode d’évangélisation éculé qui a prouvé son inefficacité il y a des décennies de cela, un fond de soupe bien daté pour un auteur qui appelle à une vision renouvelée du monde. Non seulement le chrétien est tenu à témoigner de sa foi, mais il doit s’impliquer dans la vie de la cité afin d’œuvrer au bien commun et au salut des âmes. Or, quoi de mieux qu’une société catholique pour poursuivre ce double objectif ? Nier cela revient à prêter aux autres religions, les fausses religions, une dimension de salut qu’elles n’offrent pas.

« Que ce message … sur les questions qui fâchent comme le respect de la vie, la dignité de la personne au travail ou l’accueil de l’étranger dérange, c’est une évidence » (F.H.)

Ce qui dérange bon nombre de catholiques, en vérité, c’est d’une part la profusion de déclarations et d’actes symboliques très forts réalisés en direction des migrants, et, d’autre part la confusion créée par une parole de plus en plus politique. Lorsque le pape défend le respect de la vie et la dignité de la personne, il s’inscrit dans la Tradition catholique. Lorsqu’il prend position sur des questions de gestion des flux migratoires, il fait de la politique. Or, il se trouve que ce discours politique, compte tenu du caractère massif de ces flux et de la fragilité économique de bien des pays d’accueil, est irresponsable et contraire aux enseignements de l’Eglise. En outre, lorsque le pape s’engage en faveur de la « dignité de la personne au travail », ou plus largement du « progrès social », le pape ne fait pas autre chose, il interprète politiquement l’Évangile. Dans ce contexte, oui, bien des catholiques oscillent entre embarras et colère. Certains en viennent à se demander si leur pape n’est pas davantage sensible au bonheur terrestre, qu’au salut des âmes !

« Mais, l’état des mœurs étant ce qu’il est, aucun chrétien sérieux ne revendique l’abrogation de la loi Veil. » (F.H.)

L’entretien se termine par cette phrase, lancée comme une insulte faite aux plus de 200 000 enfants à naître éliminés chaque année en France. Quel chrétien peut-il ne pas revendiquer l’abrogation de la loi Veil ? Il s’agit au mieux d’un renoncement coupable au pire d’un relativisme non moins coupable. Le message de l’Eglise n’est pas soluble dans « les mœurs » des sociétés de chaque époque. Comment exiger une charité sans limite, qui n’en est donc plus une, pour les migrants, tout en se contentant d’un statu quo pour les enfants avortés ? Qui est le plus faible, le migrant ou bien l’enfant à naître ?

JeuneReac

Mise à jour : j’ai porté cet article à la connaissance de François Huguenin, voici sa réponse :