Il faut le reconnaĂ®tre l’intervention d’Emmanuel Macron hier face Ă la ConfĂ©rence des Ă©vĂŞques de France est un Ă©vĂ©nement pour le moins inĂ©dit. S’il est encore difficile d’Ă©valuer quel en sera l’impact sur les relations entre l’Eglise en France et la RĂ©publique, il me semble nĂ©anmoins nĂ©cessaire de revenir sur les passages clefs de ce long discours. Un exercice relativement ardu tant la logorrhĂ©e prĂ©sidentielle est marquĂ©e par un sens aigu de la contradiction saupoudrĂ©e d’innombrables rĂ©fĂ©rences intellectualisantes. Un discours pour sĂ©duire, dans le sens latin du terme de « seducere », Ă savoir : « conduire Ă l’écart, tromper ».
Le discours meta-religieux d’un pasteur Ă ses ouailles
Hier soir Emmanuel Macron est littĂ©ralement « montĂ© en chaire » : sourire narquois qui pointe au coin des lèvres, l’œil brillant, il toise son auditoire avec autoritĂ© et cynisme. C’est bien lui le « maĂ®tre des horloges » qui vient servir, Ă nous pauvres catholiques, la traditionnelle soupe rĂ©publicaine. Le discours est long, lĂ©nifiant, pĂ©nible, un flot continu aux accents lyriques, sur lequel surnagent les rĂ©fĂ©rences culturelles les plus curieuses. Il s’en dĂ©gage un Ă©trange sentiment : Ă quel exercice se livre Emmanuel Macron ? Vient-il prendre des engagements ? Faire des annonces ? C’est la confusion qui règne et ce matin les commentateurs sont si embarrassĂ©s qu’ils se contentent de pointer du doigt « l’entorse faite Ă la laĂŻcité ». C’est en rĂ©alitĂ© tout l’inverse qui s’est produit hier soir.
Non pas une entorse à la « laïcité », mais bien son accomplissement
Cela n’aura Ă©chappĂ© Ă aucun tĂ©lĂ©spectateur attentif, Emmanuel Macron a systĂ©matiquement mis en perspective l’Eglise catholique avec « les autres religions ». Cela produit deux effets, le premier est de relativiser la place prĂ©pondĂ©rante qu’a occupĂ© la religion catholique dans le destin de la France, le second est de faire de notre religion une simple « philosophie », qui en vaut n’importe quelle autre. De plus, et nous allons l’illustrer avec de nombreux exemples, c’est en prĂ©sident « au-dessus des religions » qu’est venu s’exprimer Emmanuel Macron, tel un pasteur rĂ©publicain cherchant Ă soumettre l’Eglise au projet rĂ©publicain. Par ces trois dynamiques le chef de l’Etat ne poursuit rien d’autre que l’accomplissement de la laĂŻcitĂ© rĂ©publicaine, anticlĂ©ricale par nature. En suivant le pasteur Macron l’Eglise en France court le risque de devenir la caution, lorsqu’elle devrait ĂŞtre l’inspiratrice et le cadre !
Voici quelques commentaires que j’aimerais partager avec vous sur les passages clefs du discours :
…une Eglise prĂ©tendant se dĂ©sintĂ©resser des questions temporelles n’irait pas au bout de sa vocation ; et qu’un prĂ©sident de la RĂ©publique prĂ©tendant se dĂ©sintĂ©resser de l’Eglise et des catholiques manquerait Ă son devoir.
Curieuse formulation quant on sait combien, d’une part, le pape François focalise ses efforts sur les questions temporelles, et d’autre part combien le rĂ´le du prĂ©sident de la RĂ©publique n’a jamais Ă©tĂ© spĂ©cialement pensĂ© dans une logique de dialogue avec l’Eglise catholique.
…lorsque vient l’heure de la plus grande intensitĂ©, lorsque l’épreuve commande de rassembler toutes les ressources qu’on a en soi au service de la France, la part du citoyen et la part du catholique brĂ»lent, chez le croyant vĂ©ritable, d’une mĂŞme flamme.
Voici une phrase construite par les porte-plumes d’Emmanuel Macron dans le plus pur style macronien : une apparence de lyrisme qui laisse très vite place Ă la confusion. Sur le fond : nombreux sont les français morts pour leur foi ou pour leur patrie, rares sont les « citoyens » morts au nom des « valeurs de la RĂ©publique »…
C’est parce que j’entends faire droit à ces interrogations que je suis ici ce soir. Et pour vous demander solennellement de ne pas vous sentir aux marches de la République, mais de retrouver le goût et le sel du rôle que vous y avez toujours joué.
…ne restez pas au seuil, ne renoncez pas Ă la RĂ©publique que vous avez si fortement contribuĂ© Ă forger…
Est-il besoin de rappeler combien la RĂ©publique s’est construite en opposition frontale Ă l’Eglise catholique : dans son sang, sur ses terres et avec ses biens ? Doit-on mentionner les massacres des prĂŞtres, les fermetures d’Ă©glises, les autodafĂ©s, les profanations de tombeaux… commis par les forces rĂ©publicaines ? Doit-on rappeler comment les rĂ©publicains ont tentĂ© d’imposer le culte de l’Etre-suprĂŞme, de la dĂ©esse raison ?…
…la RĂ©publique attend beaucoup de vous. Elle attend très prĂ©cisĂ©ment si vous m’y autorisez que vous lui fassiez trois dons : le don de votre sagesse ; le don de votre engagement et le don de votre libertĂ©.
Voici de mon point de vue, le passage le plus embarrassant de l’intervention. J’y vois un parallèle rhĂ©torique honteux fait avec les « 7 dons de l’esprit saint ». Revenons sur ces trois dons. La « sagesse » premièrement, alors que c’est bien un cadre que l’Eglise devrait fournir au pouvoir temporel. « L’engagement », ensuite, oui mais pas n’importe lequel : celui qui se limite exclusivement Ă l’exercice d’une (fausse) charitĂ© sans limites, comme vu prĂ©cĂ©demment. Le « don de votre liberté », enfin, formulation pour le moins Ă©trange dans la mesure oĂą « donner sa liberté » c’est prĂ©cisĂ©ment la perdre. De plus la « liberté » des catholiques est sensĂ©e ĂŞtre ordonnĂ©e Ă Dieu et non Ă la RĂ©publique.
Sur les migrants, on nous reproche parfois de ne pas accueillir avec assez de générosité ni de douceur, de laisser s’installer des cas préoccupants dans les centres de rétention ou de refouler les mineurs isolés. On nous accuse même de laisser prospérer des violences policières.
Voici des mois que de nombreux catholiques, et le pape lui-mĂŞme, appellent Ă davantage de charitĂ© dans l’accueil inconditionnel des migrants, en contradiction totale avec 2 000 ans de Tradition catholique. Voici qu’Emmanuel Macron retourne cette fausse charitĂ© contre les catholiques eux-mĂŞmes et l’on sait combien le sujet est sensible dans l’opinion publique.
L’Eglise accompagne inlassablement ces situations délicates et tente de concilier ces principes et le réel
Comment nier que l’Eglise catholique, effectivement, se renie si souvent en prĂ©fĂ©rant « s’adapter » Ă une rĂ©alitĂ©, plutĂ´t que de porter fermement et courageusement une parole de VĂ©ritĂ©… Ce catholicisme tiède est-il Ă la hauteur de la radicalitĂ© Ă laquelle Notre Seigneur JĂ©sus Christ nous appelle ?
Ainsi, l’Eglise n’est pas à mes yeux cette instance que trop souvent on caricature en gardienne des bonnes mœurs. Elle est cette source d’incertitude qui parcourt toute vie, et qui fait du dialogue, de la question, de la quête, le cœur même du sens, même parmi ceux qui ne croient pas.
Bien au contraire, l’Eglise est source de certitude et d’espoir…
L’Eglise prise Ă son propre piège
Nous l’avons vu au travers de ses dĂ©clarations Emmanuel Macron ne fait que mettre en lumière la convergence du projet rĂ©publicain avec celui d’une Eglise disons « moderniste ». Dès lors, une fois relĂ©guĂ©e au rĂ´le « d’association caritative et philosophique », comment l’Eglise en France va-t-elle pouvoir peser dans les prochains dĂ©bat sociĂ©taux qui s’annoncent ? Finalement Emmanuel Macron a tirĂ© les leçons des erreurs commises par François Hollande avec la Manif pour tous : lorsque son prĂ©dĂ©cesseur ignorait, lui choisit de flatter, flatter pour neutraliser.
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