Depuis plusieurs mois, les essais de catholiques bien-pensants Ă©chouent dans nos librairies avec la mĂŞme rĂ©gularitĂ© que les barques des passeurs sur les plages de Lampedusa. Avec « Cathos, ne devenons pas une secte », le journaliste Patrice de Plunkett rejoint la cohorte des lanceurs d’alerte du dimanche (matin). Dans le cadre de ma plongĂ©e dans la « modernosphère » catholique, après avoir chroniquĂ©Â Erwan Le Morhedec et François Huguenin, il me semblait cohĂ©rent de clĂ´turer ce cycle par l’analyse critique de cet ouvrage.
La thèse de l’auteur : la foi du Christ n’est pas une valeur mais une « rĂ©volution permanente ». L’Eglise s’adapte continuellement pour rester un tĂ©moin du Christ dans un monde sans prĂ©cĂ©dent. Seulement, une « certaine frange » des catholiques français rĂ©siste et refuse de suivre le pape François sur les questions Ă©conomiques et sociĂ©tales en gĂ©nĂ©ral, et sur celle des migrants en particulier. Dans ce contexte Patrice de Plunkett adresse une « autocritique fraternelle », il exhorte en rĂ©alitĂ© ces catholiques Ă ne pas former une secte et les enjoint d’accueillir les migrants avec charitĂ©. En n’obĂ©issant pas docilement au pape, prĂ©vient-il, les rĂ©fractaires mettent en pĂ©ril le salut de leur âme.
La radicalisation catholique : la menace fantĂ´me
L’essai est divisĂ© en trois parties : la première est consacrĂ©e Ă l’itinĂ©raire de conversion de l’auteur, la deuxième Ă l’analyse d’une « dĂ©rive sectaire d’une partie des catholiques français » et la troisième propose quelques pistes de rĂ©flexion et d’action. Trois maigres annexes tentent de complĂ©ter le tout, dont une sur le « faux argument de la non-infaillibilité« , de seulement deux pages. Avec cet essai Patrice de Plunkett s’adresse aux catholiques français en gĂ©nĂ©ral et Ă une « certaine frange » en particulier, un groupe que l’auteur est bien incapable de circonscrire. C’est toute la faiblesse de ce type de dĂ©monstration : ĂŞtre absolument incapable de dĂ©finir aussi bien la menace, que ses prĂ©tendus auteurs. Le journaliste cible confusĂ©ment : les « bergogliophobes« , les « identitaires« , les « cathos sectaires« , les « bourgeois libĂ©raux« , les « ultras« , les « riches« , les « cathos libĂ©raux« , les « bourgeois conservateurs« , la « droite catholique« , « une certaine droite française« … Il est formel : hors du magistère social du pape François : point de salut ! La solution : la charitĂ© et l’accueil des migrants, ou comment gagner son paradis en finançant les passeurs et en Ă©puisant des pays entiers de leurs forces vives.
Le migrant, ce nouveau prolétaire
MalgrĂ© son passĂ© de journaliste de la « droite libĂ©rale », Patrice de Plunkett nous sert une prose aux relents soixante-huitards : « la foi du Christ est un rĂ©volution permanente« , le pape est « subversif« , « anticonformiste« , il « modernise la pensĂ©e sociale chrĂ©tienne« … C’est comme si l’Ă©poque moderne Ă©tait la seule Ă avoir connu des flux migratoires de grande ampleur ! L’auteur est formel, le Christ, au travers du magistère social du pape François, nous appelle Ă l’accueil des migrants, notre salut en dĂ©pend. Au passage, nous remarquons l’absence de toute mention aux pauvres de France : les sans domicile fixe, les travailleurs prĂ©caires, les femmes isolĂ©es… C’est comme si la figure du migrant devait faire l’objet de toutes les charitĂ©s, ou comme si le problème de la pauvretĂ© en France avait Ă©tĂ© rĂ©glĂ© par les bonnes âmes charitables des annĂ©es soixante.
L’Islam, ce grand absent
Assez curieusement, la question de l’Islam n’occupe que quelques pages dans un essai consacrĂ© aux identitaires et aux migrants. C’est d’autant plus curieux que bon nombre de catholiques sont doublement inquiets : d’une part des dĂ©sĂ©quilibres engendrĂ©s par des flux migratoires massifs, et, d’autre part, par la propagation de l’Islam par l’intermĂ©diaire de ces mĂŞmes populations. Pour l’auteur, le seul danger liĂ© Ă l’Islam est d’ordre « sĂ©curitaire« , il ne concerne pas l’Eglise et c’est aux Etats d’y apporter une rĂ©ponse. De plus, si Patrice de Plunkett craint que les catholiques identitaires ne forment une secte, il considère que les catholiques de France ne risquent rien sinon d’ĂŞtre « moquĂ©s« . On s’interroge lorsque l’on sait combien les chrĂ©tiens peuvent ĂŞtre persĂ©cutĂ©s dans les pays musulmans… Finalement, ce n’est pas tant l’Islam le grand absent de cet ouvrage, mais bien l’évangĂ©lisation ! Car, accueillir le migrant comme son prochain est une chose, mais quid de son Ă©vangĂ©lisation ? Quid Ă©galement de l’Ă©vangĂ©lisation des identitaires nĂ©o-paĂŻens qui s’intĂ©ressent au catholicisme au travers de l’identitĂ© nationale ?
Quel regard sur les migrants ?
L’auteur, s’appuyant sur les nombreuses prises de position du pape François condamne « la peur de l’autre« , « le repli » : « ou bien je ne me dĂ©robe pas Ă la rencontre avec le migrant, ou je rĂ©cuse le problème en dĂ©cidant que l’Évangile ne s’applique pas aux migrants« . Les Évangiles et la Tradition ne nous invitent-ils pas Ă une « charitĂ© responsable » ? L’expression de la charitĂ© du catholique ne doit-elle pas en effet ĂŞtre soumise Ă la recherche constante du « bien commun » ? Quelle limite devons-nous ainsi donner Ă cette charitĂ© ? Toutes les trajectoires de vie des migrants doivent-elles trouver la mĂŞme rĂ©ponse ? Comment distinguer le migrant « opportuniste » de celui dont la vie est menacĂ©e dans son pays ? Comment accepter que toutes les forces vives abandonnent leur pays d’origine ? Est-ce un bien d’accueillir tous les jeunes hommes en âge de procrĂ©er, de travailler et de dĂ©fendre leur pays d’origine ? La France est-elle en mesure d’absorber toujours davantage de misère ?… Autant de questions auxquelles l’auteur se garde bien de rĂ©pondre, se rĂ©fugiant dans une posture bien plus confortable : celle de mĂŞler « charitĂ© au niveau personnel » et « gestion des flux migratoires » au niveau des nations.
La posture identitaire est-elle chrétienne ?
Voici une question qui revient inlassablement sous la plume des essayistes catholiques modernes. Quel Ă©trange procès fait Ă ceux qui cherchent Ă servir Dieu tout en aimant leur patrie ! Saint-Louis n’avait-il pas fait graver dans son alliance « Dieu, France et Marguerite » ? Servir Dieu, protĂ©ger sa patrie et assurer son devoir d’Ă©tat, n’est-ce pas ordonner saintement toute les dimensions de son existence ? Le catholicisme, qui est universel, serait-il incompatible avec l’affirmation de l’identitĂ© des nations ? Les nations constituent des obstacles au règne de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ lorsqu’elles sombrent dans la laĂŻcitĂ©, et cela l’auteur se prive bien de le mentionner ! Au nom la « libertĂ© religieuse » devrait-on s’accommoder de la laĂŻcitĂ©, tout en pourfendant sans relâche les « faux catholiques identitaires » au nom d’un prĂ©tendu universalisme social catholique ?
Quelques points d’accord…
Ne soyons pas aussi catĂ©gorique et sectaire que ne peut l’ĂŞtre Patrice de Plunkett et terminons cette chronique par une sĂ©rie de points sur lesquels nous nous rejoignons :
- « Une posture Ă la fois libĂ©rale et catholique devient impossible Ă tenir » : effectivement, et il suffit de lire les nombreuses encycliques sur le sujet pour s’en convaincre. Ce qui est curieux en revanche c’est que l’auteur ne semble pas rĂ©aliser combien le trafic de migrants alimente une Ă©conomie libĂ©rale recherchant une main d’oeuvre toujours plus bon marchĂ©…
- L’importance de l’Ă©cologie, qui n’est pas un simple argument Ă©lectoral mais doit faire pleinement partie d’un projet de sociĂ©tĂ© authentiquement catholique, Ă condition d’Ă©viter de se soumettre aux marchĂ©s financiers…
Votre analyse très interessante et très plaisante à lire.